Cet article porte sur l'application du principe 12 du modèle de Toyota dans le secteur de la construction.
Cet article poursuit notre série explorant les 14 principes de Toyota et les appliquant au secteur de la construction.
Ces principes ont été identifiés et développés dans le livre « Le modèle Toyota » de Jeffrey Liker.
Le 12ème principe est le suivant : Observer et apprendre de manière itérative (PDCA) pour relever les défis
Présentation du principe
Le principe 12 du TPS met l’accent sur l’apprentissage continu des équipes de Toyota par l’observation, l’expérimentation et l’analyse pour résoudre les problèmes rencontrés.
Cela s’illustre à travers le cycle d’amélioration itératif : le PDCA. Voici les étapes de cette méthode :
- Plan (planifier) : identifier et définir le problème, les objectifs à atteindre et les indicateurs associés, rechercher et sélectionner une solution.
- Do (réaliser) : mettre en œuvre la solution.
- Check (vérifier) : évaluer les résultats obtenus.
- Act (agir) : au vu de ces résultats, améliorer la solution si besoin puis la standardiser et la mettre en œuvre à plus grande échelle.
Avec cette méthode, les employés sont formés au raisonnement scientifique qui consiste à vérifier (« Check ») par l’expérience (« Do ») des hypothèses (« Plan »), et apprennent à résoudre les problèmes.
Dans le raisonnement scientifique, l’observation est un point primordiale. Aller sur le terrain permet d’avoir tous les éléments pour comprendre le problème et trouver des solutions adaptées, on parle de gemba. Le gemba walk est une pratique qui consiste à se rendre sur le terrain, là où le travail est effectué pour observer les processus, les équipes et chercher des opportunités d’amélioration.
Toyota met en place plusieurs approches pour encourager le raisonnement scientifique par ses équipes. En voici deux exemples:
- Les Toyota Business Practices : il s’agit d’un cadre à la résolution de problème, sur des projets de 4 à 8 mois. Les étapes du cadre sont les suivantes :
- Clarifier le problème
- Décomposer le problème en sous-problèmes
- Fixer un objectif pour le sous-problème sélectionné
- Analyser la cause racine
- Développer des contre-mbresures
- Mener jusqu’à leur terme les contre-mesures
- Evaluer les résultats et les processus
- Standardiser les nouveaux processus
- Les Cercles de la qualité : les membres du cercle, des opérateurs accompagnés par leur chef d’équipe, travaillent sur un problème relativement simple pendant 6 mois. Cette approche permet de former les équipes à la résolution de problème par le pratique et la répétition.
Le TPS est principalement associé à l’industrie, cependant, l’application de ce principe au secteur de la construction pourrait former les équipes à la méthode scientifique afin d’améliorer les processus de l’entreprise de manière continue.
Les défis du secteur de la construction
Le secteur de la construction est confronté à certains défis qui complexifient l’application de ce principe :
- Organisation en projets : comme mentionné dans l’article sur les principes 9 et 10 du TPS, les entreprises de ce secteur travaillent majoritairement en mode projet. Cela signifie que les employés sont assignés à un projet, et une fois celui-ci terminé, sont assignés à un autre projet en fonction des opportunités du moment. Ce type d’organisation présente plusieurs défis dans la mise en place de ce principe :
- Dispersion géographique des équipes : les équipes travaillant dans des zones géographiques différentes, il est difficile de déployer une formation au raisonnement scientifique et au cycle PDCA à toute l’entreprise. De plus, pour que la démarche soit un succès, elle nécessite une motivation collective à travers tous les chantiers de l’entreprise.
- Adaptation aux spécificités des projets : les projets étant différents, le déploiement du PDCA doit s’adapter à leurs spécificités et leurs contraintes (processus différents, différentes manières de collecter les données, de suivre l’atteinte des objectifs, …).
- Continuité de la démarche : les équipes changeant de projets tout au long de leur carrière, il existe un risque que la dynamique et les bonnes pratiques développées sur un chantier ne soient pas maintenues si la méthode n’est pas appliqué sur les prochains chantiers. Cela peut entraîner un arrêt complet de la démarche d’amélioration continue via le PDCA ou une perte de motivation des équipes. Il est donc important d’assurer une continuité et un déploiement général de la démarche.
- Pression sur les coûts et les délais : comme mentionné dans l’article 3, le respect du planning prévu et du budget est un enjeu majeur des chantiers, les retards étant très coûteux. Même si le développement des compétences en résolution de problèmes permet de gagner en productivité sur le long terme, il est difficile de le faire accepter sur le chantier, la formation prenant du temps, pendant lequel le chantier n’avance pas.
- Manque de culture d’amélioration continue : l’identification des problèmes, des opportunités d’amélioration et l’évaluation des résultats sont des étapes du cycle PDCA, liées à une démarche d’amélioration continue. Cependant, contrairement à l’industrie, l’amélioration continue n’est pas toujours intégrée dans la culture des entreprises du BTP. Par exemple, sur les chantiers, le suivi des objectifs et des indicateurs de performance, pourtant essentiels au cycle PDCA, n’est pas systématiques.
- Collecte et analyse de données : la gestion des données sur les chantiers pose plusieurs défis :
- Sources variées : les projets impliquent de nombreux acteurs, générant des données provenant de sources diverses (rapports, logiciels de gestion, capteurs, …), ce qui complique la centralisation et le traitement de ces données.
- Evolution rapide des conditions du chantier : les données doivent être collectées de manière fréquente et régulière pour rester pertinentes, les conditions du chantier évoluant sans cesse (conditions météorologiques, ressources, modifications des plannings…).
- Préoccupation mineure : la collecte et l’analyse de données ne sont pas centrales pour toutes les entreprises du secteur. Les équipes ne sont pas toujours formées à l’analyse de données et ces dernières ne sont pas structurées pour être utilisées sans traitement préalable. Par exemple, les données saisies dans un rapport nécessitent une ressaisie pour être utilisables.
- Technologies limitées : beaucoup d’entreprises utilisent des outils traditionnels pour l’analyse de données. Ces derniers ne permettent pas de traiter efficacement de grands volumes d’informations en temps réel. Ainsi, cette opération demande beaucoup de temps.
- Absence de processus communs : comme développé dans l’article 5,les entreprises du secteur de la construction n’ont pas l’habitude de standardiser et de formaliser leurs processus. Cependant, des processus standardisés sont essentiels à l’utilisation du PDCA. Un processus standardisé sert de base pour identifier les écarts entre ce qui est prévu (dans le processus) et ce qui est réalisé. Cette comparaison permet d’identifier rapidement les problèmes. De plus, le cycle PDCA aide à identifier des améliorations qui doivent être formalisées afin d’être reproductibles, si possible dans toute l’organisation.
L’application du principe dans le secteur de la construction
Malgré ces défis, ce principe reste pertinent dans le secteur du BTP. Voici quelques conseils pour l’appliquer :
- Sensibiliser et former à l’amélioration continue : contrairement à l’industrie, le Lean n’est pas largement déployé dans le secteur de la construction. Le PDCA, s’inscrivant dans une logique d’amélioration continue, pour faciliter sa mise en place, il est essentiel que les équipes soient formées aux grands principes du Lean Management. Cette sensibilisation peut être réalisée à travers des sessions de formation, mais également par la mise en place de systèmes visuels, tels que des indicateurs de suivi de la performance, comme le recommande le principe 7. Ces outils permettent de rendre les progrès concrets et encouragent une culture d’amélioration continue sur les chantiers.
- Former au PDCA : les équipes doivent également être formées à l’utilisation du PDCA, en leur présentant les étapes du cycle et en les familiarisant à sa réalisation par des mises en pratique. Des ateliers peuvent être systématisés dans le cas d’identification de problèmes sur le terrain. Ces ateliers donneront l’opportunité aux équipes d’appliquer le PDCA en situation réelle. Ils permettent également de renforcer cette culture d’amélioration continue.
- Standardiser les processus : la standardisation des processus est un travail important. Ce processus de standardisation peut commencer par l’identification de processus communs à la majorité des projets de l’entreprise (comme par exemple, les approvisionnements, la préparation du chantier, le contrôle de la qualité).
- Mettre en place des visites sur le terrain : il peut être plus difficile pour les ouvriers d’identifier les problèmes, étant continuellement sur le terrain. Des visites régulières sur le terrain par les managers peuvent aider à repérer les problèmes directement là où le travail est réalisé. Ces visites permettent également de recueillir des données et d’échanger avec les personnes concernées. Des pistes d’amélioration peuvent être identifiées plus efficacement.
- Renforcer les relations avec les partenaires : les partenaires (les sous-traitants, co-traitants, fournisseurs,…) font partie intégrante du projet. En travaillant sur le terrain, ils sont bien placés pour repérer des problèmes et identifier des axes d’amélioration. Il est donc important d’encourager et de prendre en compte leurs retours dans le cadre du PDCA. Leurs observations permettent d’identifier des problèmes sur lesquels travailler. Ils peuvent également aider à collecter des informations essentielles et à trouver les solutions les plus adaptées. Une collaboration étroite avec les partenaires contribue ainsi à une amélioration continue plus efficace.
- Systématiser les retours d’expérience en fin de projet : dans cette démarche d’amélioration continue, il est essentiel de mettre en place un système de retour d’expérience à la fin du projet. Cela permet d’identifier les problèmes rencontrés, d’identifier des axes d’amélioration sur les réponses apportées (ou non) et sur les méthodes utilisées pour le faire. Ces apprentissages doivent être formalisés et partagés pour être pris en compte dans les futurs projets.
Conclusion
En résumé, l’application du 12ème principe du système de production Toyota consiste, pour les entreprises du secteur de la construction, à développer 6 thématiques essentielles :
- La sensibilisation et la formation à l’amélioration continue
- La formation au raisonnement scientifique (méthode PDCA)
- La standardisation des processus
- La systématisation des visites sur le terrain
- La création de relations solides avec les partenaires
- La systématisation des retours d’expériences en fin de projet
Retrouvez les articles sur la mise en place des principes du modèle Toyota dans le secteur de la construction sur les liens ci-dessous :