Publications

L’application des principes du Lean au secteur de la construction. Principe 14 : Tracer son chemin vers le futur en apprenant, avec une stratégie audacieuse, quelques grandes avancées et beaucoup de petits pas.

Publié le : 12/02/2025

Par : Candice Lepertel

Catégorie thématique : Lean Construction

Cet article porte sur l'application du principe 14 du modèle de Toyota dans le secteur de la construction.

Cet article vient clôturer notre série explorant les 14 principes de Toyota et les appliquant au secteur de la construction.

Ces principes ont été identifiés et développés dans le livre « Le modèle Toyota » de Jeffrey Liker.

Le 14ème principe est le suivant : Tracer son chemin vers le futur en apprenant, avec une stratégie audacieuse, quelques grandes avancées et beaucoup de petits pas.



Présentation du principe


Le principe 14, dernier principe du TPS, met l’accent sur l’importance d’une stratégie adaptée à l’entreprise, qui combine innovations et petites améliorations.

Il est primordial d’adapter sa stratégie au contexte dans lequel l’entreprise évolue et à ses caractéristiques plutôt que de copier des stratégies existantes qui semblent fonctionner. La stratégie d’une entreprise doit être claire, bien pensée de sorte à apporter un produit ou un service distinctif exécuté avec les capacités opérationnelles adaptées. Pour l’auteur, cela passe par des améliorations incrémentales et des innovations. C’est la stratégie adoptée par Toyota.,

Toyota est souvent vue comme une entreprise « prudente » en comparaison à Tesla qui innove constamment : des modèles Toyota sont vendus depuis des décennies tout en apportant des améliorations successives à chaque nouvelle génération. C’est par exemple le cas de la Toyota Corolla lancée pour la première fois en 1966, un des modèles les plus vendus au monde. D’un autre côté, dans la stratégie de l’entreprise, une importance est également donnée à l’innovation. La Toyota Prius l’illustre : cette voiture, sortie en 1997, est le premier véhicule hydride commercialisé au monde. Toyota a également développé le Toyota Research Institute qui investit dans des projets de recherche avancée comme les véhicules autonomes. 



Les défis du secteur de la construction


Voici les défis qui complexifient l’application de ce principe pour les entreprises du secteur :

  • Adoption progressive des innovations dans le secteur :
    1. Des méthodes traditionnelles : dans le BTP, les méthodes de travail ont connu des améliorations marginales. En effet, les procédés fondamentaux (la maçonnerie, le coffrage, ou l’utilisation de grues et d’échafaudages) ont peu évolué depuis plusieurs décennies.
    2. Une évolution lente des outils
    3. Une adoption limitée des technologies : malgré l’utilisation de technologies telles que le BIM dans le secteur de la construction, l’utilisation de technologies numériques ou encore d’intelligence artificielle se développe plus lentement que dans d’autres secteurs. À titre de comparaison, ces avancées sont déjà largement intégrées et optimisées dans l’industrie automobile.
  • Absence de culture d’amélioration continue : comme développé dans les principes précédents, les techniques Lean sont peu développées dans ces entreprises. Que ce soit le flux pièce à pièce et le flux tiré (principe 2 et principe 3), la standardisation (principe 5), l’identification des anomalies (principe 6), le management visuel (principe 7), le partage de connaissances (principes 9 et 10) ou le PDCA (principe 12), ces méthodes ne sont pas systématiquement utilisées. Les entreprises tendent à se concentrer sur la livraison des projets dans le respect des délais et des budgets sans investir dans des processus d’amélioration continue.
  • Peu de partage de connaissance :
    1. Mode projet : les équipes sont envoyées sur des projets en fonction des opportunités de l’entreprise.
      1. Peu de communication : chaque chantier est géré de manière indépendante, il y a peu de liens entre les chantiers et les équipes du siège. Le partage de connaissances entre chantiers est donc limité. De plus, à la fin du chantier, les équipes sont dispersées, le partage de connaissances dans le temps est également difficile.
      2. Projets/métiers différents : chaque chantier est unique et implique l’intervention de métiers différents. Chaque chantier peut donc nécessiter des compétences ou méthodes spécifiques, ce qui complexifie le partage de connaissances.
      3. Peu de formation : sur un chantier, l’objectif est de finir à temps (souvent le plus vite possible) et dans le budget prévu. Comme développé dans le principe 9, il est difficile de justifier des dépenses à long terme, telle que la formation continue des équipes qui pourrait pourtant permettre d’augmenter la performance du chantier.
  • Absence de retours d’expériences (REX) : le REX est une démarche permettant de capitaliser sur l’expérience acquise en analysant ce qu’il s’est passé sur le projet et en en tirant des enseignements. L’absence de systématisation du REX conduit à répéter les mêmes erreurs d’un chantier à l’autre, les entreprises n’identifiant pas ce qui a bien fonctionné, qui n’a pas marché et les solutions apportées aux difficultés rencontrées.

Pour ces raisons (et d’autres), la productivité dans la construction ne suit pas la tendance des autres secteurs. Cet article sur l’amélioration de la productivité dans le secteur de la construction démontre que la productivité baisse dans ce secteur depuis des décennies et donne des pistes d’amélioration (baisse de 20% depuis 2001).



L’application du principe dans le secteur de la construction


Malgré ces défis, ce principe reste pertinent dans le secteur du BTP. Voici quelques conseils pour l’appliquer :

Pour mettre en place des petites améliorations constantes, il est intéressant de capitaliser sur les outils du Lean présentés dans les articles précédents de notre série explorant les 14 principes de Toyota et les appliquant au secteur de la construction (les liens sont à retrouver à la fin de cet article).

Voici quelques exemples de méthodes pour commencer :

  • Impliquer les équipes : pour toutes les démarches d’amélioration continue (standardisation des processus, ateliers de progrès, management visuel…), il est crucial de faire participer toutes les équipes (chef de chantier, ingénieurs, compagnons, fournisseurs, sous-traitants…). Cela permet de collecter les informations pertinentes provenant de tous les acteurs concernés, d’identifier et de mettre en place des solutions adaptées et efficaces. De plus, cette implication permet de renforcer l’engagement et la motivation de chacun, de rendre ainsi plus durables les améliorations.
  • Vision partagée et objectifs clair : pour que ces avancées s’inscrivent dans une démarche durable, il est important de développer une vision à long terme avec des objectifs clairs et mesurables. Ces objectifs doivent être communiqués à toutes les équipes et déclinés au niveau de chaque chantier pour garantir une cohérence stratégique. Ce point est développé dans l’article sur le principe 13 du TPS. Enfin l’amélioration continue des processus et de l’organisation doit s’inscrire dans la stratégie et la culture de l’entreprise. L’importance du long terme et les défis auxquels font face les entreprises du BTP sont développés dans le premier article de notre série.
  • La partage de connaissances : l’amélioration passe en grande partie par le partage de connaissances entre individus et sections de l’entreprise. Le REX, présenté dans la première partie, est un outil simple à mettre en place. Le systématiser pour chaque fin de chantier permet d’améliorer les méthodes, les processus de l’entreprise et donc de gagner en productivité.

Dans un second temps, pour mettre en place des innovations (de grandes avancées) il est primordial de développer une stratégie d’innovation au sein de l’entreprise. Cette stratégie fixe des objectifs clairs, tout en créant un environnement favorable à l’innovation. Voici quelques points clés pour réussir cette démarche :

  • Définir une vision à long terme : une stratégie d’innovation doit commencer par la définition d’une vision claire à long terme : dans quels domaines l’entreprise cherche-t-elle à se distinguer ? (méthodes de construction, technologies numériques, construction durable, …). Cette vision guide les efforts et motive les équipes à travailler vers un but commun.
  • Encourager une culture d’innovation : au sein de l’entreprise, l’esprit d’initiative et la créativité doivent être encouragés. Chaque employé doit pouvoir proposer des idées et participer à leur mise en œuvre. Les échecs ne doivent pas être sanctionnés mais capitalisés.
  • Mettre en place des équipes et processus dédiés : des pôles R&D ou des équipes spécifiques doivent identifier les innovations pertinentes pour l’entreprise. Il est nécessaire que ces équipes aient les ressources nécessaires pour tester des innovations, et accompagner leur déploiement sur des phases pilotes afin de réduire les risques avant un déploiement général en cas de succès.
  • Investir dans la technologie et la formation : mettre en place de grandes avancées passe souvent par l’adoption et le déploiement de nouvelles technologies. Il est donc nécessaire de prévoir un investissement dans ces outils (BIM, drones, logiciels, …). Lorsque ces technologies sont choisies, une formation adaptée aux différentes équipes doit être dispensée pour garantir leur utilisation optimale. Pour rappel, les technologies doivent être adoptées pour répondre à un besoin de l’entreprise, pour soutenir les équipes et les processus existant. Ces points sont développés dans le principe 8.
  • Collaborer avec des partenaires : le déploiement de technologies passe par la collaboration avec des fournisseurs (de logiciels par exemple) dans l’identification, l’adaptation et le déploiement de ces outils. Il est également essentiel de travailler avec les partenaires plus traditionnels (sous-traitants, co-traitants, fournisseurs de matériel, …) afin d’intégrer leurs retours, leurs connaissances et maximiser les résultats de ces innovations.
  • Evaluer les objectifs et la stratégie : dans une logique d’amélioration continue, il est primordial de suivre l’atteinte des objectifs et d’évaluer la stratégie d’innovation dans son ensemble afin de l’ajuster en fonction des résultats obtenus et des évolutions du marché.


Conclusion


En résumé, l’application du 14ème principe du système de production Toyota consiste, pour les entreprises du secteur de la construction, à développer une démarche d’amélioration continue notamment par 3 principes :

  • L’implication des équipes
  • Le partage de connaissances
  • Le partage d’objectifs communs clairs

Enfin, la mise en place d’une stratégie d’innovation passe par :

  • La définition d’une vision à long terme
  • Une culture d’innovation
  • La mise en place d’équipes dédiées
  • Un investissement dans des technologies
  • Un investissement dans la formation
  • Une forte collaboration avec les partenaires
  • Une évaluation et un ajustement de la stratégie



Retrouvez les articles sur la mise en place des principes du modèle Toyota dans le secteur de la construction sur les liens ci-dessous :

Partager cet article :